Investir en temps de crise, une opportunité pour les épargnants ?
Frédéric PUZIN, fondateur de CORUM L’Épargne, s'est penché sur sur l’investissement en temps de crise. Dans le contexte de la crise ukrainienne, mais aussi des scandales liés à la gestion des EHPAD, de nombreux épargnants s’interrogent sur l’exposition de leur épargne notamment en SCPI.
Les produits commercialisés par CORUM L’Épargne sont des investissements long terme qui n’offrent aucune garantie de rendement ou de performance et présentent un risque de perte en capital et de liquidité. Les revenus ne sont pas garantis et dépendent de l’évolution du marché immobilier et financier et du cours des devises. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.
Cédric DECOEUR
On a besoin de votre éclairage, parce que c’est vrai que la crise ukrainienne produit des tas d’effets, on vient d’en voir une partie sur l’inflation, etc. Les épargnants s’interrogent beaucoup, et on a eu pas mal de questions, notamment sur votre domaine, sur ces SCPI, et sur les risques du conflit pour l’épargne de nos auditeurs. Ils se demandent notamment comment la protéger. Alors, on va bien évidemment regarder tout ça ensemble. Vous qui connaissez bien vos épargnants, ceux qui s’intéressent aux SCPI, qu’est-ce qui se passe dans leur tête depuis le début du conflit, quelles sont leurs préoccupations, les questions qu’ils vous posent ?
Frédéric PUZIN
Les mécaniques sont un petit peu les mêmes que celles de la crise du Covid, ou même de la crise financière de 2008. Tout d’abord, il y a la stupeur : le monde dans lequel vous aviez des certitudes, ce en quoi vous croyiez, tout ce sur quoi vous aviez basé votre confiance s’effondre. Eh bien là, ce sont des chars russes qui passent la frontière ukrainienne : stupeur. Ça a duré en l’occurrence une petite semaine.
Marie COEURDEROY
Ça veut dire quoi stupeur, il ne se passe rien ?
Frédéric PUZIN
Il ne se passe rien, et au contraire, toutes les intentions d’épargne sont gelées, elles sont arrêtées, et on voit une baisse de la collecte très forte. Pour le Covid, ça avait duré plutôt trois, quatre mois cette phase de stupeur.
Cédric DECOEUR
Il faut dire qu’on nous avait enfermés...
Frédéric PUZIN
Oui, et il n’y avait aucune certitude sur l’avenir : baisse de la collecte de près de 40 %, pendant trois, quatre mois. Là, ça a duré une quinzaine de jours. Derrière, c'est plutôt une phase de tétanie, où on ne prend plus de décision, où on épargne un peu, on prend quelques décisions mais on est extrêmement prudent. Et puis après, il y a l'accoutumance. Enfin, votre antenne nous montre des images auxquelles on est habitué depuis un mois, avec des scènes de guerre, tout le monde finalement s'y est habitué - et les gens réfléchissent à nouveau à une forme d'avenir. Et puis, ensuite, on revient à la lumière. Alors c'est ce qu'on avait commencé à vivre fin 2021, début 2022, jusqu'au 23 février, où il y avait des intentions d'épargne très fortes et une reprise très forte de la collecte notamment des SCPI.
Cédric DECOEUR
Alors, on a quand même aussi une tendance qui va peut-être avec ce mouvement que vous décrivez, c'est ce qu’on a notamment avec la bourse. On se demande alors « c'est la crise, il y a eu des baisses, est-ce que, finalement, je ne pourrais pas faire une espèce de chasse aux bonnes affaires ? »
Frédéric PUZIN
Oui, on a quand même enchaîné deux crises, l’une derrière l'autre. Vous l'indiquiez tout à l'heure à votre antenne, le CAC est remonté à un peu plus de 6 700 points. Donc je pense que la phase de stupeur, elle est bien derrière nous. La phase de tétanie aussi. On parle déjà de « remontada », donc on semblerait déjà revenu à la lumière. Je n’ai pas de conseil à donner, en matière immobilière, les cycles sont quand même beaucoup plus longs qu'à la bourse, ça ne monte pas et ça ne descend pas comme ça.
Marie COEURDEROY
Enfin, on est d’accord, mais sauf que là, vous aviez quand même des soubresauts dont vous venez de nous parler, typiquement, les 3-4 mois pendant et après le confinement pendant lesquelles il y a eu une tétanie, là, même si ça a duré une semaine, dix jours. Même si on a toujours dit l'immobilier, c'est une valeur refuge, on voit quand même le lien entre ce qu'on vit et l'immobilier de toute façon.
Frédéric PUZIN
Vous l’avez dit, mais ça, c'est une non-vérité : l'immobilier n'est pas une valeur refuge. C'est une valeur tangible. Alors tangible jusqu'au jour où vous avez Monsieur Poutine qui décide de vous envoyer des bombes sur votre immeuble, mais la valeur, elle est là, l’immeuble, il est là. Mais ça n’est en rien une valeur refuge. Et c'est ce qu’on va sans doute voir dans les mois qui viennent. Pour autant, il y a toujours une confiance dans l'immobilier, ça, c'est très français, et la collecte est rapidement repartie. À cet instant, enfin, je vous parle de CORUM, le niveau de collecte du mois de mars va être très proche de ce qu'on avait en décembre-janvier, et même jusqu'au début de février. Donc les Français ont confiance dans l'immobilier. Alors peut-être que la bourse repartant, ils vont aussi reconsidérer leur investissement en bourse... Ce qui est un peu surprenant parce qu’on aurait pu se dire qu'avec un CAC qui avait quasiment dégringolé de 1 000 points, c'était le bon moment, et à 6 700 points, finalement, on est revenu dans un monde normal.
Cédric DECOEUR
Qu'est ce qui marche bien, la santé, comme en Bourse ?
Frédéric PUZIN
Alors la santé, ça a été le grand truc de la crise sanitaire, c‘était une évidence pour tout le monde. Il y avait un sujet pour moi, j'ai alerté d'ailleurs, je crois, sur votre antenne à l'époque, qui était le risque réputationnel : c'est très compliqué d'investir son épargne dans des sujets qui sont proches de ce qui touche à l'humain. Donc la santé, c'était une très bonne idée, tout le monde l’a eue en même temps, donc les prix de l'immobilier de santé ont explosé. Il faut savoir que c'est une niche, l’immobilier de santé, c'est un très petit marché, c'est à peu près 1,5 milliard € d'investissements en Europe par an. Donc quand toute l'Europe décide d'investir dans l’immobilier de santé, évidemment, ça fait monter les prix. Ce à quoi on est confronté in fine, au bout de 2 ans, ce sont les risques réputationnels, et là vous pouvez imaginer ce qui se passe dans la tête des investisseurs - je ne pense pas forcément aux particuliers, quoique si vous avez vos parents, vos grands-parents dans une maison de retraite, vous dites : bon, ce n'était peut-être pas le bon truc. Mais c'est surtout les grands investisseurs, ce qu'on appelle les investisseurs institutionnels : pour eux, le risque réputationnel, c’est un tue l’amour. Et donc là, on peut même imaginer qu'il y ait peut-être des ventes massives d'immobilier de santé, et donc une baisse des prix.
Marie COEURDEROY
Mais de toute façon, Frédéric, j'ai l'impression que c'est un petit peu votre façon de faire à chaque fois que vous venez à l'antenne : en fait, il ne faut surtout pas aller vers l'évidence.
Frédéric PUZIN
Non, non, ce n’est pas qu’il ne faut pas aller sur l’évidence, c’est-à-dire que l’évidence, elle est évidente sur une partie du sujet... Mais après, ce sont des sujets beaucoup plus vastes. La santé, c'est évident qu'il y a aussi un sujet humain, on touche à la relation interpersonnelle, mettre son épargne dans quelque chose qui touche à la relation interpersonnelle, c’est un peu sensible. C’est très facile d'aller chercher un locataire quand c'est une grande entreprise, dans un immeuble de bureaux, en disant : tu paies tes loyers à la fin du mois. C'est un peu plus compliqué quand c'est une personne physique, qui peut, par ailleurs, être le client qui va vous confier votre épargne ; donc c'est ce point-là qui est compliqué.
Cédric DECOEUR
Revenons, si vous le voulez bien, à la crise ukrainienne. Il y a un certain nombre de SCPI qui détiennent des immeubles à l'étranger. Est-ce qu’elles sont directement touchées par cette crise ?
Frédéric PUZIN
Il y a un certain nombre de SCPI qui sont investies à l'étranger, c'est vrai, maintenant la SCPI, ce n'est pas une grande aventurière. La SCPI a découvert l'Europe il y a une dizaine d'années. Pour la plupart des SCPI, l'Europe, c'est la France et l'Allemagne, c'est quand même un territoire assez limité. A ma connaissance, il n’y a aucune SCPI investie en Russie, ni en Ukraine ni en Biélorussie. Voilà, ça, je pense que ça, c'est un fait et une réalité. Par contre, ce qui est indéniable, c'est que les SCPI ne sont pas hors sol. Vous parliez des valeurs refuges : oui, l'immeuble est tangible, mais pour autant, l'argent qu'il représente, c’est en partie dû à un locataire qui paie des loyers. Ce locataire, pour payer votre loyer, il a besoin de chiffre d'affaires, si son chiffre d'affaires est en relation avec ce qui se passe en Russie ou en Ukraine, évidemment, il va y avoir un impact, c'est une évidence. Donc cette crise va avoir un impact pour un certain nombre d'entreprises. La grande force de la SCPI, pour autant qu'elle soit un peu diversifiée, c'est qu’elle peut être un peu impactée, mais tous ses locataires ne vont pas être impactés.
Marie COEURDEROY
Oui, donc on dilue les risques en fait.
Frédéric PUZIN
On dilue le risque, exactement.
Cédric DECOEUR
Donc pas de risque, on va dire, direct, parce que pas d'implantation dans les zones, soit, directement, soit, très frontalières du conflit, mais effectivement, ce risque sur les affaires. Et alors l'inflation qui est induite aussi par ce conflit, enfin, ça avait commencé avant, bien évidemment les questions inflationnistes, avec la reprise ; mais ce conflit, il peut peser sur l'activité, vous l'avez rappelé, pour le chiffre d'affaires, et donc, « diminuer les pressions inflationnistes » - mais comme ça tape directement sur l'énergie et sur les approvisionnements, ça booste l'inflation ?
Frédéric PUZIN
Un peu d’inflation, ce n’est pas si mal que ça, d'ailleurs, je pense qu’il y a un an on était plutôt satisfait de voir reprendre un petit peu d’inflation, ça remettait les choses sur certaines évidences. Là, aujourd'hui, on a un booster d'inflation, c'est un peu comme le 3e vaccin, vous avez votre booster. On le voit, avec des pays qui amènent à réduire la consommation de chauffage, etc. Donc ça touche tout le monde, c’est très concret. Par conséquent, c'est clair que toutes les entreprises vont être touchées, donc les locataires vont être touchés, et il va y avoir un impact. Alors la bonne nouvelle pour la SCPI et pour l'immobilier de façon générale, c'est que la plupart des baux d’immobiliers commerciaux prévoient des clauses dans lesquelles vous êtes indexés à l'inflation. Les entreprises vont ré-impacter dans leur prix de vente, sur leur chiffre d'affaires, l'inflation, et donc, elles vont pouvoir payer des loyers un peu plus élevés, parce que les contrats sont prévus pour avoir une indexation des loyers sur l'inflation. Donc sur le revenu, on est protégé. Maintenant, il y a un autre sujet, qui est la valeur du capital. Vous parliez de valeur refuge. Par exemple, vous avez acheté quelque chose 100, si vous l’aviez acheté avec zéro d'inflation, le matin, vous avez 4 % d’inflation, alors, si vous aviez un rendement de 4 %, ça veut dire qu’avec 4 % d’inflation, en gros, vous ne gagnez plus rien.
Marie COEURDEROY
Oui, c’est zéro...
Frédéric PUZIN
Alors, si vous compensez votre revenu avec une indexation, eh bien, vous allez récupérer vos 4 %. Par contre, la valeur du capital est un autre problème qui est plutôt lié, lui, au sujet des taux d'intérêt. Les Etats cherchent quand même à juguler l'inflation, on ne peut pas laisser dériver l'inflation, donc on va augmenter les taux d'intérêt. La mécanique est très simple : si vous remontez les taux d’intérêt, vous réduisez la masse monétaire, vous réduisez aussi la faculté des entreprises et des investisseurs à s'endetter. Par conséquent, vous rendez l’argent un peu plus rare, un peu plus cher. Mais ça veut dire aussi que ça doit faire baisser les volumes d'investissement, et s’il y a moins d'investissements, donc moins d'acheteurs, ça peut avoir un impact sur les prix, donc sur la valeur - pas sur le revenu, mais sur la valeur des immeubles. Et le vrai sujet de l'inflation, il n’est pas sur le revenu, il est sur la valeur des immeubles.
Marie COEURDEROY
Et donc, là, vous prévoyez, vous, là, très objectivement, que les immeubles vont sans doute perdre en valeur ?
Frédéric PUZIN
Alors, je ne prévois pas qu’ils vont perdre en valeur demain matin, parce qu'il y a tout un tas de paramètres. Un des paramètres, c'est le facteur confiance, si les acteurs ont vraiment confiance en l'avenir. Aujourd'hui, on sort d'un monde dans lequel il y avait des masses de liquidités quasiment sans limite. Et encore jusqu'au mois de février, on voyait des choses assez étonnantes, où des investisseurs étaient prêts à payer les actifs immobiliers à 1,5 %. Donc il y a 4 % d’inflation, vous voyez ce que ça veut dire, c’est-à-dire qu’on perd 2,5 %. Donc il peut y avoir un ajustement, une correction sur les valeurs. Et là, il faudra être très prudent. D’abord, il faudra avoir acheté en période un peu chaude, dans de bonnes conditions, ne pas avoir acheté trop cher, parce que vous comprenez bien que si vous achetiez des actifs à 4 % avant la crise, vous avez 4 % d’inflation après, et vous ne gagnez plus rien. Vous allez pouvoir ajuster vos loyers de 4 %. En revanche, ce que vous avez acheté 100, il y a une probabilité que ça ne vaille plus 100, mais un peu moins. Parce que l’immobilier, c’est quoi en définitive, vous parliez de valeur refuge...
Marie COEURDEROY
Eh bien, ce n’est pas une valeur refuge, parce que depuis tout à l’heure, je vous écoute, Frédéric, alors, j’ai bien compris qu’il ne fallait plus jamais que je dise ça !
Frédéric PUZIN
L’immeuble n’est pas une valeur en tant que telle, l’immeuble, il est une valeur par rapport à ce qu’il représente en termes de revenus notamment. Donc si vous achetez un immeuble, généralement, vous raisonnez en années de loyers. Il faut comprendre que quand vous achetez l’immeuble avec un rendement à 4 % vous achetez 25 ans de loyers. Donc le risque, il est là, c’est que les investisseurs se disent : je ne vais plus acheter avec 25 ans de loyers, je vais plutôt acheter avec 20 ans de loyers. Ça fait quand même une baisse très significative, ça fait plus de 5 ou 6 %. Et donc, on pourra voir une baisse de la valeur des immeubles relativement à la période précédente, et c’est là qu’il va falloir être très prudent.
Cédric DECOEUR
Dans une grande part de votre argumentaire, depuis qu’on discute, vous parlez de ceux qui ont investi, alors, ils l’ont fait avant, ils l'ont fait avec une inflation... Mais ceux qui aujourd'hui se disent : tiens, et si je me prenais quelques parts de SCPI, c’est le moment ou ce n’est pas le moment ?
Frédéric PUZIN
Je vais vous dire deux choses : d’abord, il ne faut pas aller trop vite, parce que, pour l'instant, il n’y a pas eu d’impact sur les prix, les prix de l’immobilier n’ont pas bougé...
Marie COEURDEROY
N’ont pas bougé… il faut attendre que les prix baissent en fait.
Frédéric PUZIN
On va déjà observer la hausse des taux d’intérêt, on va voir si la hausse des taux d’intérêt va limiter un petit peu dans leur frénésie les investisseurs qui achetaient à 2, 3, 4 %, est-ce que ça va un peu les freiner, est-ce qu’ils vont se dire : « je vais peut-être arrêter d’acheter la santé à 3 %, je vais peut-être plutôt l’acheter à 5 ou 6, donc plutôt que de l’acheter sur 30 ans de revenus, 30 ans de loyers, je vais plutôt l’acheter sur 20, il faut être prudent, attendre un peu. » Et ensuite, sur les investissements passés, je pense qu’il y a des gens qui auront plutôt bien tiré leur épingle du jeu, c'est ceux qui auront investi avec des rendements plutôt élevés. Parce qu'évidemment, si vous avez des rendements élevés, vous amortissez beaucoup mieux l'inflation. Et puis ceux aussi qui auront été prudents sur la collecte, et ça fait des années que je dis : attention à la collecte des SCPI, il faut la mettre sous contrôle. Il ne faut pas acheter sous la pression de l'argent, parce que c’est là qu’on fait les mauvaises affaires : si vous avez trop d’argent, vous devez absolument investir, évidemment vous allez avoir tendance à payer un peu cher. Si vous avez moins d’argent, vous avez le temps, vous avez sans doute fait de meilleures affaires.
Cédric DECOEUR
Merci beaucoup d'être venu partager toutes ces réflexions autour de ce monde des SCPI. Frédéric PUZIN, le patron de CORUM L’Epargne.
Frédéric PUZIN
Merci.
Photographie : Saj Shafique